Koreana SPRING 2006 Vol.7 No.1 

 

Rubrique spéciale 

 

La juste place du Royaume de Gaya dans lĄŻhistoire coréenne

 

Kim Tae-sik

 

       

 

   

  Dans lĄŻhistoire coréenne, le mot « disparu » est récurrent à propos du royaume de Gaya, bien que, partout ailleurs dans le monde, lĄŻemploi de ce qualificatif ne repose que sur des mythes et légendes dont il ne subsiste que peu de traces. Il ne fait en revanche aucun doute que cet Etat exista, notamment par le renom de ses industries du fer et de la faïence, ainsi que par la survivance dans la musique traditionnelle dĄŻun important instrument à corde appelé « gayageum ». Quels traits particuliers de son organisation lui auraient alors valu dĄŻêtre porté « disparu » ?




Disparu et non oublié




LĄŻAntiquité coréenne se situe principalement à lĄŻépoque dite des Trois Royaumes, qui désigne les Etats de Goguryeo (37 av. J.-C.-668), Baekje (18 av. J.-C.-660), ainsi que Silla (57 av. J.-C.-935) et qui prit fin lorsque ce dernier triompha des deux autres pour imposer son règne sur une péninsule unifiée. Sous la Dynastie Goryeo (918-1392) qui succéda à celui-ci, un ouvrage capital intitulé Samguksagi (Histoire des Trois Royaumes) ne fit pas mention de lĄŻhistoire de Gaya pour la bonne raison quĄŻil fut rédigé selon le point de vue historique tendancieux de lĄŻépoque, ce qui était déjà le cas durant celle de Silla. Malgré les annexions qui suivirent les victoires respectivement remportées en 562, 660 et 668 sur les Etats de Gaya, Baekje et Goguryeo, les chroniqueurs historiques de Silla omirent le premier dĄŻentre eux parce quĄŻil était considéré partie intégrante du territoire.


Au XVIIe siècle, des savants de la Dynastie Joseon tels que Han Baek-gyeom allaient apporter un nouvel éclairage sur cette période historique en adjoignant un quatrième royaume aux trois premiers, à savoir celui de Gaya, lequel, deux siècles plus tard, allait être la cible des visées expansionnistes du Japon, qui affirma y avoir exercé une autorité administrative à lĄŻépoque des Mimana Nihonfu. Sous le régime colonial qui sĄŻensuivit de 1910 à 1945, ce pays fit connaître ses prétentions au-delà de lĄŻAsie, propageant dans le monde lĄŻimage dĄŻun royaume coréen « disparu ».


Quand, dans les années soixante-dix, les archéologues coréens entreprendront des fouilles dans le bassin du fleuve Nakdonggang qui arrose la province de Gyeongsang-do, ils mettront au jour de précieux artéfacts provenant des territoires de lĄŻancienne Gaya. Leurs travaux inlassables, que compléteront trente autres années dĄŻinvestigations, permettront de faire toute la lumière sur les particularités de cette ancienne culture.



Spécificités culturelles de Gaya



LĄŻéconomie péninsulaire sous Gaya se caractérise par lĄŻassociation de pratiques agricoles dans la partie méridionale et métallurgiques dans celle du nord-ouest. LorsquĄŻen lĄŻan 108 avant J.-C., Wiman Joseon céda dans cette dernière région à lĄŻoffensive lancée par lĄŻempereur chinois Wudi sous la dynastie Han, la population prit la fuite pour gagner le littoral de la province de Gyeongsangnam-do et sĄŻy installer définitivement. Pour lĄŻessentiel, subsistent de ce peuplement les vestiges découverts sur le site funéraire de Daho-ri, à Changwon, notamment dans la Tombe no 1 datant du premier siècle avant J.-C., et dont le contenu est carac-téristique de lĄŻartisanat de Wiman Joseon, en particulier par la forme des cercueils en bois et la facture des objets en bronze ou en fer.


Carrefour du commerce maritime avec lĄŻEtat de Lelang, la culture de Gaya allait, au fil du temps, subir lĄŻinfluence considérable de ces échanges. Bordant le nord-ouest de la péninsule au deuxième et troisième siècles, cet Etat sĄŻadonna à de nombreux échanges avec Gaya par voie maritime, tant à lĄŻouest quĄŻau sud de la péninsule, introduisant sa culture et ses produits raffinés par Gimhae, principale agglomération du royaume. Un miroir en bronze de style chinois, dĄŻélégants colliers en perles de verre et des bouilloires en fonte figurant parmi les articles que renfermait la tombe n˘Ş 162 de Yangdong-ri, sont autant de témoignages de ces nombreuses relations.


En troisième lieu, il convient de souligner que les gens de Gaya étaient pour la plupart dĄŻun naturel conservateur et modeste qui les différenciait de ceux de Silla et Baekje, ainsi que du Japon ancien dit Wa. À cette réserve issue de lĄŻinfluence culturelle longtemps exercée par Lelang, sĄŻopposaient, dĄŻune part, le pragmatisme et la frugalité plus marqués des sujets de Silla et, dĄŻautre part, le raffinement exquis de ceux de Baekje. Quant à la culture Wa qui, par sa proximité géographique, sĄŻimprégnait fortement de celle de Gaya, elle se départit ensuite de ses aspects pratiques pour nĄŻen conserver que la dimension rituelle et certaines caractéristiques extérieures, en les reproduisant à une plus grande échelle.


Enfin, Gaya constitua aussi, pendant près de six siècles, une confédération sĄŻétendant jusquĄŻaux confins occidentaux du bassin du fleuve Nakdonggang et exerça une influence culturelle sur les régions de Goryeong, située dans la province de Gyeongsangbuk-do, ainsi que de Gimhae et Haman appartenant à celle de Gyeongsangnam-do. Le nombre de ses Etats oscilla entre sept ou huit et vingt-deux, selon les époques, mais sĄŻétablit la plupart du temps à une douzaine.



Quatrième royaume de lĄŻAntiquité



CĄŻest au deuxième siècle avant J.-C. que fut fondé, dans la ville de Gimhae, un petit royaume dont les premières influences culturelles allaient se faire sentir dès le siècle suivant et qui, par la suite, sous le nom de Gaya ou Royaume de Geumgwangaya établi à Gimhae, allait étendre sa suprématie sur de plus petits Etats voisins pour se constituer en Confédération. Celle-ci allait connaître un grand essor dans la seconde moitié du IVe siècle du fait quĄŻelle se situait à la charnière entre le Royaume de Baekje et le Japon, mais fut défaite au début du Ve siècle par la coalition des forces de Goguryeo et Silla.


Durant la seconde moitié de ce même siècle, un ancien état de Goryeong allait restaurer la confédération de jadis, qui prit cette fois le nom de Royaume de Daegaya, cĄŻest-à-dire du Grand Gaya et dont les souverains furent ensevelis dans les tombes de Jisan-ri. Les tentatives de reconstruction dĄŻun état placé sous une seule autorité centrale furent cependant anéanties par la politique diplomatique de Baekje et Silla, qui partagea le territoire du nord au sud, le second annexant même la région en lĄŻan 562.


Du fait de sa situation géographique favorable à lĄŻétablissement de liaisons maritimes avec le Japon, le royaume de Gaya a exercé une influence culturelle considérable sur ce pays à partir du début du Ier siècle, jusquĄŻau VIe. Ne disposant toujours pas, à la fin du Ve, dĄŻoutil industriel à des fins métallurgiques, le Wa allait importer de Gaya des produits tels que grandes haches et lingots de fer destinés à ses fabrications. CĄŻest de cette même Gaya quĄŻil acquit la maîtrise dĄŻun artisanat céramique aux productions aussi solides que raffinées répondant à lĄŻappellation de Sueki, ainsi que la sellerie et la fabrication des casques et armures, autant dĄŻac-tivités qui contribuèrent largement à lĄŻessor de la civilisation japonaise dans lĄŻAntiquité.


Au vu de ce qui précède, il est patent que la confédération de Gaya ne constitua en aucune manière un Etat insignifiant assujetti au pouvoir politique du Japon ancien ou à une quelconque autre influence de celui-ci. SĄŻil ne pesa pas du même poids historique que les royaumes plus connus de Goguryeo, Baekje et Silla, il mérite amplement dĄŻêtre reconnu comme un quatrième royaume qui exerça sa souveraineté pendant près de six siècles.   

    

     

 

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